Maguire recrute, de Montréal à New York
Entrevue avec Romy Belzile-Maguire, cofondatrice
Maguire est une entreprise montréalaise de chaussures pour femmes fondée en 2016 par les sœurs Myriam et Romy Belzile-Maguire. Elle se distingue par son modèle d’affaires direct et transparent. En plus du site Web transactionnel, les consommatrices peuvent se procurer les chaussures Maguire dans trois succursales à Montréal, Toronto et New York.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de Maguire?
Ma sœur Myriam travaillait dans l’industrie de la chaussure depuis une dizaine d’années et voyageait à travers le monde, mais arrivait difficilement à trouver des chaussures au design original, offertes dans des couleurs intéressantes, fabriquées dans des manufactures européennes et offertes à un prix accessible. Le marché est rempli de marques abordables de grands détaillants offertes à moins de 150 $ et de marques de luxe à 500 $ et plus. Myriam souhaitait offrir quelque chose qui se situerait entre les deux, un produit de qualité à un prix plus accessible que les marques de luxe. En se rendant directement dans les manufactures pour son travail, elle s’est rendu compte que le coût de production d’une chaussure de qualité n’était pas si élevé et que c’était le modèle d’affaires traditionnel des entreprises qui venait ajouter des coûts au prix de vente. Elle a eu l’idée de produire des chaussures aux designs originaux dans les manufactures de qualité afin de les offrir à bon prix en éliminant au maximum les intermédiaires. Nous avons un modèle d’affaires direct : nous faisons le design et développons les produits, puis nous les importons et nous les vendons. Nous nous occupons du marketing, de la mise en marché et du service client. C’est ainsi que nous sommes en mesure de maintenir un prix juste pour nos chaussures.
Vous présentez les prix de vos produits de manière transparente. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?
Quand on regarde les prix des chaussures sur le marché, on s’aperçoit que le prix de vente n’est pas un indicateur fiable de la qualité du produit. Nous avons décidé de montrer nos coûts de production afin de permettre à nos clients de faire un achat éclairé. Sur le site Web et en boutique, les gens peuvent connaître le coût de production de la chaussure et le prix que nous avons payé à la manufacture (ce qui inclut les matériaux et la main-d’œuvre), mais aussi les frais reliés au transport, aux douanes et à l’emballage. Cela permet à la consommatrice de mieux comprendre où va son argent. La transparence est une valeur importante pour nous.
À quel moment avez-vous ouvert votre première boutique?
Nous avons commencé par vendre un seul produit en ligne. Nous avons vite compris que pour vendre des chaussures, il est vraiment important d’avoir un modèle hybride qui allie vente en ligne et points de vente physiques. Pour rencontrer notre clientèle, nous avons pris part à de petits marchés comme le SOUK @ SAT, un marché de designers montréalais. Nous avons également tenu des kiosques dans des festivals. Chaque fois que nous participions à un événement physique, nous observions une augmentation des ventes en ligne. Cela nous a rapidement donné le goût de trouver une boutique physique permanente. Notre vision, qui est d’offrir des chaussures de qualité ainsi qu’une expérience haut de gamme, se concrétisait difficilement dans un conteneur pendant un festival de musique. Nous avions besoin de trouver un espace qui nous permettrait de créer une ambiance cohérente avec notre vision.
En 2018, nous avons ouvert notre première petite boutique à l’intérieur d’une lunetterie Voskin dans le quartier Mile-End, à Montréal. La synergie entre nos deux entreprises nous a permis de développer une clientèle et cette boutique est rapidement devenue trop petite pour nous. Le succès était au rendez-vous et la boutique était tellement fréquentée les week-ends que nous avions du mal à servir adéquatement nos clients. Nous étions prêts pour un plus grand espace.
Après cette année passée à vendre des chaussures, ma sœur et moi avons remarqué plusieurs irritants dans la façon traditionnelle de fonctionner. Nous observions que les clientes voulaient essayer des chaussures et qu’elles prenaient plaisir à le faire, mais que l’expérience n’était pas à la hauteur. De notre côté, nous étions toujours en train de courir pour aller chercher des boîtes dans l’arrière-boutique, alors que notre rôle devrait être d’être présentes et de conseiller la cliente.
En 2019, quand nous nous sommes installées dans notre boutique actuelle du Mile-End, nous avons choisi de remettre le plaisir d’essayer des chaussures à l’avant-plan. Pour y arriver, nous avons conçu nos boutiques comme de grandes garde-robes dans lesquelles tous nos modèles sont disponibles pour essayage, dans toutes les couleurs et dans toutes les tailles. Nos clientes peuvent venir à la boutique et essayer autant de chaussures qu’elles le souhaitent. Avec ce concept, toutes les chaussures sont à portée de main et nos conseillères demeurent présentes avec la cliente. Elles ne sont pas payées à la commission. Elles sont là pour conseiller les clientes, leur faire essayer les chaussures, les informer sur les produits et leur entretien, leur donner des conseils de mode et répondre à toutes leurs questions. Nous avons vraiment remis le service-conseil au centre de la relation avec la cliente, et c’est cette dernière qui choisit le moment où elle achètera, que ce soit sur place, en magasin, ou plus tard, en ligne. Des clientes passent dans nos boutiques durant l’été pour essayer les bottes d’hiver qu’elles achèteront en ligne, plus tard à l’automne : c’est parfait! Nous avons confiance en nos produits. Les consommatrices ont besoin d’avoir une étincelle pour acheter et nous voulons que nos employées provoquent cette étincelle avec leur service hors pair.
À quel moment vous est venue l’idée d’ouvrir une autre succursale, cette fois à Toronto?
Dès le départ, avec notre modèle d’affaires direct, nous avions la vision d’avoir une seule boutique par marché. Nous ne voulons pas avoir trop de boutiques physiques, d’abord parce que cela ferait augmenter nos coûts, mais aussi parce que nous nous positionnons comme un commerce de destination. Quand nous avons ouvert la boutique de Montréal, celle-ci était à nos yeux notre boutique, centre d’essayage et point de service client unique pour le Québec.
Nous souhaitions nous lancer dans le reste du Canada, et Toronto était un choix qui s’imposait de lui-même. Nous avons commencé petit, comme nous l’avions fait à Montréal, avec des boutiques éphémères pour développer notre clientèle et nous faire connaître. Après chaque événement à Toronto, nos ventes en ligne augmentaient, alors nous avons cherché un endroit afin d’y être présentes en permanence. Nous n’attendons pas d’avoir assez de clientes pour ouvrir une boutique, nous faisons plutôt le contraire. Nos boutiques sont des vitrines qui permettent de crédibiliser notre marque sur un nouveau marché. Le fait de voir qu’il y a une adresse physique rassure nos clientes qui magasinent en ligne. C’est donc le 15 mars 2020 que nous devions ouvrir cette boutique à Toronto. En Ontario, la crise sanitaire a été beaucoup plus difficile qu’au Québec. Cette boutique a été fermée neuf mois sur douze dans la première année. Malgré cela, nous avons augmenté nos ventes en ligne sur ce marché, grâce à la crédibilité que le fait d’avoir pignon sur rue nous a apportée. Évidemment, quand nous avons pu réouvrir, les ventes étaient au rendez-vous. Cela démontre bien l’importance du modèle hybride, à la fois physique et en ligne.
Vous avez ensuite ouvert une boutique à New York.
Dans le commerce de détail, particulièrement en mode, c’est toujours un rêve d’avoir sa boutique à New York. Comme nous sommes une petite entreprise, le défi était d’arriver à se payer un loyer commercial dans cette ville. Nous pensions ouvrir des boutiques éphémères, comme nous l’avions fait au Québec et au Canada, mais nous avons vite constaté que nous devions suivre plusieurs procédures administratives avant de pouvoir faire des affaires dans un autre pays. Que nous ouvrions une boutique éphémère ou un établissement permanent, les frais et les démarches étaient plutôt similaires. Entre les deux, la seule différence était le loyer et le défi de trouver des employés permanents. Quand il a été permis de traverser la frontière à nouveau, ma sœur et moi nous sommes rendues à New York pour constater que plusieurs espaces étaient vacants dans des quartiers qui sont habituellement très convoités. Pendant la pandémie, de nombreux grands joueurs avaient déménagé dans des espaces moins chers ou avaient tout simplement fermé des points de vente. En discutant avec des agents immobiliers, nous avons été surprises d’apprendre que les loyers étaient deux fois moins chers qu’avant la crise. Nous avons finalement trouvé un local sur Elizabeth Street, dans le quartier branché de Nolita, et nous avons signé le bail en janvier 2022 en suivant notre instinct, malgré la situation encore incertaine de la pandémie, alors que le Québec était toujours sous couvre-feu. La semaine de la signature du bail, notre agente nous a confirmé que nous avions pris le dernier local abordable et que les prix étaient en train de monter!
Comment s’est passé le recrutement de personnel dans un nouveau marché comme New York?
À Toronto ou à New York, le défi, c’est que nous n’avons pas de réseau de contacts. Les problèmes de main-d’œuvre sont aussi présents ailleurs. Le bassin de main-d’œuvre est mince et je le ressens dans les trois marchés. Le défi d’une nouvelle entreprise dans un nouveau marché, c’est que nous recevons beaucoup moins de CV que pour la boutique de Montréal, qui est davantage connue.
Les raisons pour lesquelles les gens veulent travailler pour nous sont les mêmes à Montréal, à Toronto ou à New York. Les valeurs de l’entreprise sont vraiment au cœur de notre recrutement. Nos employées sont des gens qui ont beaucoup d’expérience en commerce de détail et qui menaient une belle carrière, mais qui étaient à la recherche d’un modèle d’entreprise correspondant davantage à leurs valeurs. Elles ont le goût de servir les clientes et de les conseiller, de remettre la relation humaine au centre de la relation client. Elles sont entre autres attirées par nos valeurs et par la production éthique de nos chaussures en Europe, par notre roulement de stock moins rapide, qui n’encourage pas la surconsommation, et par la transparence de nos prix. Nos boutiques sont fermées le lendemain de Noël, car nous ne faisons pas de ventes de l’Après-Noël, et ça plaît énormément à notre personnel!
Nos employées prennent un risque avec nous, surtout dans un nouveau marché, parce que nous sommes une nouvelle entreprise. La personne que nous avons recrutée à New York a quitté son emploi de gestionnaire dans une grande entreprise bien établie pour venir travailler pour nous. Elle a choisi Maguire parce qu’elle avait envie de prendre part à notre projet. Je sens un grand sentiment d’intrapreneuriat. Nous laissons à nos employées la latitude de gérer les boutiques comme si c’était la leur. Puisque nous embauchons des gens qui sont alignés sur nos valeurs, ça fonctionne!